Onzième rencontre des ateliers de conteurs

Ce dimanche 25 novembre, l’association Racontez Voir organisait sa rencontre annuelle des ateliers de conteurs à Ivry-sur-Seine. La journée s’est divisée en quatre temps. D’abord une conférence de Suzy Platiel sur le thème des contes comme outil d’éducation, suivie de trois contes en guise d’illustration. Puis deux scènes ouvertes, une pour les grandes oreilles et une pour les petites.

Conférence

Suzy Platiel est ethnolinguiste africaniste. Elle a ouvert la journée par une conférence sur son expérience au Burkina Faso, au sein de l’ethnie sànán, qui a nourrit sa réflexion de toute une vie sur l’importance du conte pour l’éducation.

Suzy Platiel

Il est délicat de faire un compte-rendu de cette conférence parce que l’oratrice a insisté, à plusieurs reprises, sur l’extrême importance dans la transmission de toute la communication non-verbale, et le risque de trahir la pensée en n’en conservant qu’une trace enregistrée ou — pire — écrite. Ce qui suit ne sont donc que des extraits de vie, des anecdotes touchantes, des idées qui restent en mémoire ; pas une retranscription fidèle de ce qu’elle a pu dire. Pour en savoir plus, vous pouvez regarder le documentaire qui lui est consacré dans la vidéothèque du CNRS : Au pays du conte.

Suzy Platiel arrive en Haute-Volta (aujourd’hui le Burkina Faso) en septembre 1967, avec pour mission de définir un système de lecture et d’écriture pour la langue des populations locales, de tradition exclusivement orale. Elle est accompagnée d’un interprète de 17 ans qui a appris le français avec les missionnaires catholiques, et tente d’abord de définir une grammaire en interrogeant les habitants. Mais face aux difficultés à échanger sur la structure de la langue avec des locuteurs n’ayant jamais écrit la leur, elle change d’approche et se rend aux veillées de contes. Elle en collectera 338.

Les sànáns se réunissent pour conter chaque soir de la saison sèche (car conter en saison humide empêcherait la pluie de tomber), de la tombée de la nuit à deux heures du matin. Suzy Platiel les enregistre puis les traduit mot à mot avec son interprète, et en inférence la structure grammaticale de la langue. C’est un véritable échange, où elle apprend notamment à son interprète à écrire sa propre langue, alors qu’il pensait qu’elle ne pouvait être qu’orale. Elle dira avoir beaucoup plus appris sur la culture en écoutant ces histoires que par les enquêtes ethnologiques classiques, car les gens sont plus justes et précis quand ils cherchent à expliquer le sens d’un mot qu’à répondre à une question générique sur la religion.

Suzy Platiel au micro

Elle repart en décembre 1969. Mais la modernisation gagne le pays. L’introduction de l’agriculture puis de la culture occidentale dans les années suivantes s’accompagne de la disparation des contes. Quand elle revient en 1971, les gens lui demandent pourquoi ils devraient continuer à conter dans ce monde transformé où cela ne sert plus à rien. En 1973, l’objectif d’utiliser ses travaux pour apprendre aux gens à lire et écrire est abandonné, et le choix est fait d’utiliser le français dans les écoles.

« Mais dites-moi, vos contes, c’est pour qui ?
— C’est pour apprendre aux enfants la maîtrise de la parole. »

Elle prend conscience que le conte est un outil fondamental d’éducation, par lequel le petit enfant accède à la parole articulée mais aussi ensuite, plus largement, au raisonnement logique, et à la compréhension des structures qui feront de lui un individu, un être social et humain. C’est à cette étude, débutée en 1975, qu’elle consacrera le reste de sa vie.

Suzy Platiel au tableau

Le conteur chez les sànáns n’est pas professionnel. C’est un passeur, il raconte afin que quiconque écoute son histoire soit en droit de la conter lui-même à son tour. Les sànáns ne racontent pas les mêmes contes à chaque âge. Ce sont les adolescents qui content aux plus jeunes, des histoires d’animaux surtout, sur le mode thèse, anti-thèse, synthèse. L’enfant n’entend jamais l’histoire juste pour lui ; toujours en public, au sein d’un groupe d’autres enfants, ou de plus grands. À partir de 13 ans, les thématiques changent et les contes parlent du lien entre les aînés et les jeunes. Plus tard encore, vers 18 ans, du choix d’un conjoint.

Il peut arriver que le même conte semble être raconté trois fois de suite, par trois personnes différentes, lors d’une même veillée. Mais il faut faire attention aux détails. Une épouse trouvant son mari égoïste pourra par exemple conter une histoire sur le sujet, en public. Prendront ensuite la parole une bonne amie de l’épouse, puis un ami du mari, pour raconter des histoires similaires, mais subtilement différentes. Chacun y intégrera les éléments nécessaires à faire comprendre son point de vue.

Contes sànáns

Après un déjeuner très convivial à l’auberge espagnole, Suzy Platiel reprit la parole pour conter trois histoires collectées en pays sànán. Bien qu’elle insiste pour se définir comme n’étant pas conteuse, le public resta captivé. Quelques éclats de rire quand elle fit l’effort d’utiliser le passé simple, qu’elle revendique comme essentiel à la transmission pour laisser une place neutre au conteur, mais qu’elle avait du mal — elle l’admet elle-même — à tenir d’un bout à l’autre du récit.

Suzy Platiel contant

Vous pouvez les retrouver, et de nombreux autres, dans son live contes sànáns du Burkina Faso, à l’école des loisirs.

Scène ouverte adultes

L’après-midi se poursuivit par une scène ouverte où chacun à son tour tirait le nom du conteur suivant dans un chapeau. Pour notre plus grand bonheur, tout le monde eût le temps de passer et aucune histoire ne resta en souffrance.

Clémence ouvrit la scène par un chant d’Idir puis, au rythme de la senza, nous emmena dans une histoire de roi en exil et de peinture de mer inachevée, qui finira par déborder et emporter l’artiste, une version douce et poétique de Comment Wang Fô sauvé de Marguerite Yourcenar.

Le sort décida que Michel serait le suivant, pour nous conter une autre histoire de tableau qui prend vie. Plus inquiétante, une ex-femme en surgit pour mettre la maison en pièces. Mais une petite fourmi qui tente de retrouver son amoureux en déplaçant une montagne grain de sable par grain de sable apporte le sourire final.

Retour de la musique, avec le duo Une sorcière m’a dit. Chantal et Hélène nous entraînèrent dans l’histoire d’un colporteur qui, voulant remercier un couple de vieux qui l’avaient hébergé une nuit, leur offre un mirroir et fait leur malheur. Une variante du miroir dans le coffre, un conte zen du recueil le bol et le bâton, rythmée par le refrain entêtant de dix francs, ma ceinture de laine….

Le conte de Ghislaine nous fit découvrir cet étudiant qui dessine un oiseau sur le mur d’une auberge, et lui fait prendre vie en frappant dans ses mains. Chaque soir, l’oiseau dansera pour l’aubergiste, mais pas plus d’une fois. Jusqu’à un soir différent des autres, forcément plus tragique.

Julia est italienne, mais elle conte aussi en français, en portugais. Mais c’est en chantant et en espagnol qu’elle nous fit faire un bout de chemin avec trois voyageurs, trois amoureux, tirés de l’arbre aux trésors d’Henri Gougaud. Un moment suspendu où, même sans comprendre la langue ni l’histoire, les quelques phrases échappées en français suffisent à se laisser porter.

Patrick alla puiser chez Grimm son conte du souriceau, de l’oiselet et de la saucisse. Avec sa verve habituelle, les personnages prirent si bien vie que je me mis à plaindre cet oiseau qui perd ses amis puis la vie d’avoir écouté un conseil mal avisé.

Martine nous entraîna au fond d’un sinistre cachot, dont le prisonnier eût tant de mal à sortir qu’il décida finalement bien vite d’y retourner.

Patricia ramena son histoire du grand nord, avec la légende inuit de la femme phoque (Catherine Gendrin, Didier Jeunesse). Amour cherché, capturé, impossible, perdu. Il restera des enfants, et un pêcheur chanceux.

« Personne ne peut empêcher quelqu’un d’être qui il doit être. »

Amadou choisit un conte peul qui fit merveilleusement écho à un moment de la conférence de Suzy Platiel sur le sujet des palabres, ces réunions publiques pour résoudre sans violence des conflits où les proverbes jouent un grand rôle. On y suivit deux amis — dont l’un, chef de village, avait tenté de séduire la femme de l’autre — régler leur différent au fil d’une métaphore, sous les regards perplexes des autres villageois. Et le tigre introduit au milieu d’un champ, comme un loup au milieu de la bergerie, ne l’empêchera pas d’être labouré.

De la musique comme un leitmotiv dans cette scène ouverte : le duo mouveLOReille d’Ariel et Bérengère y joua sa part. L’histoire d’un enfant tout petit, qu’on fit disparaître en lui coupant la tête avec un coffre en bois, et mangé par son père. Mais il sera vengé avec l’aide d’un oiseau, d’un bijoutier, d’un cordonnier, d’un meunier, et d’une chanson en allemand.

Puis ce fut au tour de l’arbre de vie de pousser sous nos yeux. J’aime essayer de trouver, dans ce conte très classique, les petites variantes qui le rendent à chaque fois unique. C’est souvent dans les motivations pour couper la branche que se cachent les différences. Dans la version de Chantal, c’est par précaution, mais néanmoins avec colère et défi, qu’on y mit le feu.

Adeline nous partagea des Poèmes et tracés (éditions l’Arachnéen) de Fernand Deligny, référence majeure de l’éducation spécialisée, écrivain et cinéaste, à l’origine de réseaux de prise en charge d’enfants délinquants et autistes, de films, et d’une importante œuvre écrite.

C’est alors que mon nom sortit du chapeau. Je tentais de semer les papillons de la fille-fleur, un conte apache (trouvé dans les contes des sages peaux-rouges au Seuil). Par un drôle de hasard dont les contes ont le secret, une personne de l’assistance m’en avait parlé quelques minutes auparavant — alors que j’avais décidé depuis longtemps de le conter sans le lui avoir dit.

Hélène me fit presque pleurer avec l’histoire d’une fille qui impose trois épreuves à son amoureux pour gagner son cœur, de la Saint-Philippe à la Saint-Luc en passant par la Saint-Roc. Il finit par y perdre le sien, de cœur, et elle par le perdre tout à fait.

Claude nous demanda ce que l’on fait des femmes, à travers l’histoire de l’épouse d’un sultant, répudiée dans un accès de colère mais qui s’en sortira avec intelligence la tête haute.

Puis pour finir, deux histoires hors chapeau. D’abord celle d’Ali, jeune garçon de 16 ans qui a bien du mal à choisir entre ses deux amoureuses, et appelle sagement sa grand-mère à la rescousse.

Et enfin Pierre qui conclut sur un sourire avec l’histoire de l’œuf dans un réfrigérateur.

Scène ouverte enfants

Malheureusement, le soir venant, les enfants avaient disparu. Mais quelques grandes personnes s’assirent sur les petits bancs et mine de rien, pour un instant, firent comme si elles aussi avaient trois ou cinq ans.

On y croisa la grenouille à grande bouche,

une randonnée pour faire des crêpes,

une petite veille qui échappe au loup dans une citrouille évidée,

souris Maï qui se rend au marché aux amours avec son éventail,

une autre randonnée pour trouver du lait et fleurir une montagne,

et enfin deux oursons qui se partagent un gâteau.